Saint Just Saint Rambert


La Protection du domicile conjugal

Pour toutes les décisions qui concernent le logement familial, la loi a prévu une protection, qui consiste en une collaboration des époux entre eux.

Ainsi, la loi confère au logement familial une protection contre les initiatives que pourrait prendre un des époux seul.

L'article 215 du Code civil dispose:

«Les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie.

La résidence de la famille est au lieu qu'ils choisissent d'un commun accord.

Les époux ne peuvent l'un sans l'autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n'a pas donné son consentement à l'acte peut en demander l'annulation :l'action en nullité lui est ouverte dans l'année à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d'un an après que le régime matrimonial s'est dissous ».

 

Avant d'expliquer en quoi consiste cette protection (II) et d'en détailler les effets (III), il convient au préalable de définir la notion de logement familial (I).

 

Seront enfin abordées les règles dérogatoires au principe (IV) ainsi que le cas particulier des

baux d'habitation (V).

 

 

  1. La notion de logement familial

 

Aux termes de l'alinéa 2 de l'article 215 du Code civil : « La résidence de la famille est au

lieu qu'ils choisissent d'un commun accord ».

 

Le logement familial est le lieu dans lequel les époux ont choisi de vivre pour fonder leur foyer, c'est à dire établir leur vie de couple, éventuellement construire une famille, en ayant

des enfants.

 

Plus généralement, il s'agit du lieu où ils vivent effectivement et de façon permanente.

 

Le logement familial est le lieu de résidence des époux.

 

Ainsi, même lorsque les époux sont propriétaires de plusieurs biens immobiliers, ils n'ont qu'un seul logement familial (article 215 du code civil) -ce qui exclut les résidences secondaires, qui ne bénéficieront pas de ce régime de protection.

 

Le point déterminant pour connaître le logement familial est la volonté des époux : le lieu où se situe le logement familial est nécessairement choisi par les époux.

 

En cas de couple sans enfant, la détermination du domicile conjugal sera une pure question de faits, laissée à l'appréciation souveraine du juge.

 

 

  1. En quoi consiste la protection ?

 

L'article 215 alinéa 3 du code civil interdit à un époux de faire seul un acte qui priverait la famille de la jouissance de son logement, c'est à dire un acte à cause duquel la famille pourrait se retrouver sans logement.

Quels sont les actes visés?

Sauf participation des deux époux, tous les actes de disposition sont prohibés: vente, donation, échange,...

Ainsi, les actes visés sont ceux qui ont pour conséquence de faire perdre à la famille la jouissance de son logement ou même les actes qui font simplement courir un tel risque à la famille.

Les sûretés

 

- Les sûretés réelles constituent des actes de dispositions et seront, à ce titre, prohibées.

Exemple :l'époux propriétaire du logement familial ne pourra pas constituer d'hypothèque sur ce bien sans l'accord de l'autre.

- Les sûretés personnelles, en revanche, ne sont pas des actes de disposition ;elles sont onc valides.

Exemple : le cautionnement sera autorisé, quand bien même le logement serait le seul bien dans le patrimoine de l'époux qui se porte caution.

Attention, le cautionnement hypothécaire est un cas particulier interdit, en ce qu'il constitue une sûreté réelle et non personnelle.

 

  1. Les effets de la protection

Dès lors qu'il s'agit de disposer des droits par lesquels est assuré le logement familial, le principe est la codécision.

 

Celle-ci peut prendre deux formes : 

  • L'autorisation :dans le cas où les droits assurant le logement familial appartiennent à un seul des époux, celui-ci doit obtenir l'autorisation de l'autre avant de disposer de ses droits.

Exemple :cas où un époux est seul propriétaire du logement familial et désire le céder.

  • La coparticipation : si les droits appartiennent aux deux époux, les deux consentements seront nécessaires.

Exemple : si le logement est la propriété de la communauté.

Le consentement doit porter sur le principe, mais également sur les conditions de l'acte de disposition. Il ne sera pas nécessairement écrit, mais doit être certain.

Aucune formalité n'est exigée pour donner ce consentement. La présence des deux époux n'est pas obligatoire, il suffit que le conjoint ait donné son consentement, à la fois sur le principe de l'acte (ex.: le fait que ce soit une vente) et sur ses conséquences (ex.: le prix de vente).

Ce consentement n'est pas nécessairement écrit, mais doit étre certain, c'est à dire qu'en cas de litige il faudra être en mesure de prouver, par tous les moyens possibles, que l'époux qui n'a pas passé l'acte en a eu connaissance et qu'il était d'accord pour que son conjoint passe cet acte ou du moins, qu'il lui en avait donné l'autorisation.

 

Sanction de la règle de la codécision: la nullité de l'acte.

L'époux qui n'a pas donné son consentement peut demander la nullité de l'acte.

L'action en nullité se prescrit par une année, à compter du jour où l'époux lésé a eu connaissance de l'acte, sans toutefois jamais pouvoir être intentée plus d'un an après la fin du mariage.

Ainsi, un an après la fin du mariage, la prescription interdit l'action en nullité pour les faits antérieurs à la dissolution de la communauté. Il est intéressant de remarquer que cette disposition permet surtout d'éviter l'action en nullité lorsque l'époux ne prend connaissance de l'acte que tardivement, c'est à dire, plus d'un an après la dissolution du mariage.

Pour toute action, il faudra saisir le juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance de la ville dans laquelle se situe le logement familial.

S'agissant d'une nullité relative, l'action n'est ouverte qu'à l'époux dont le consentement était requis.

 

  1. Les dérogations au principe de protection de article 215 a1.3 du Code civil:

Par dérogation, il existe des cas dans lesquels un époux peut prendre seul la décision de faire perdre la jouissance de son logement à sa famille, sans que son conjoint puisse demander l'annulation de l'acte

- La vente forcée. Le logement de la famille peut toujours faire l'objet d'une saisie par les créanciers personnels des époux. En effet, la fonction de la règle est de protéger les époux et non de créer une insaisissabilité.

Nb : le domicile de l'entrepreneur bénéficie de l'insaisissabilité à l'égard des créanciers professionnels, sans qu'il soit besoin de rédiger de déclaration d'insaisissabilité auprès d'un notaire (Loi Macron).

- Le logement de fonction : Lorsque le logement familial est un logement de fonction, l'époux qui en a le bénéfice peut démissionner sans l'accord de son conjoint et ainsi faire perdre la jouissance du logement familial à sa famille.

-Une disposition testamentaire (décès=>dissolution du mariage=>fin de la protection).

Un époux peut léguer par testament, sans le consentement de son conjoint, le bien qui onstitue le logement de la famille et ce legs sera valable. Néanmoins en pratique, la personne qui aura reçu le logement par ce testament devra attendre le décès du conjoint survivant pour pouvoir disposer librement du logement (droit viager au logement de l'article 764 du Code civil), ou au minimum un an après le décès si le conjoint survivant a été déshérité par testament (droit temporaire au logement du conjoint survivant de l'article 763 du Code civil).

- La règle de l'article 217 du code civil : Par autorisation de justice l'un des époux peut passer outre le principe de codécision, si

• l'autre époux n'est plus capable de donner son accord, ou encore si

• le refus met en péril les intérêts de la famille.

 

 

 

  1. Le régime particulier des baux d'habitation

 

Le Code civil propose un régime particulier s'agissant du bail d'habitation.

 

En effet, l'article 1751 du Code civil prévoit une co-titularité du bail d'habitation assurant le logement familial.

 

Ainsi, le bail, même conclu antérieurement au mariage par un seul des époux, appartient aux deux époux.

 

Dès lors, le congé donné par un époux ou à un époux est sans effet à l'égard de l'autre. Il en va de même des modifications du bail.

 

Toutefois, l'article 9-1 de la loi du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs, (modifiée par la loi du 21 juillet 1994) ménage une exception considérant que la notification ou la signification faites par le bailleur à un époux est opposable au conjoint dont l'existence n'a pas été portée à sa connaissance.

 

Enfin, une autre conséquence de ce caractère indivis du bail est la solidarité pour le paiement des loyers.

 

En cas de divorce ou de séparation de corps, la cotitularité cesse et le bail est attribué à l'un ou l'autre des époux, en fonction des circonstances de l'espèce.

 

 

- Exemples de décisions relatives à une disposition à titre onéreux du logement familial sans l'accord du conjoint

 

«Aux fermes de l'article 215, alinéa 3, du Code civil, les époux ne peuvent l'un sans l'autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n'a pas donné son consentement à l'acte peut en demander l'annulation :l'action en nullité lui est ouverte dans l'année à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intenfée plus d'un an après que le régime matrimonial s'est dissout. Or, la nullité de la promesse de vente invoquée par l'épouse, dont le consentement n'a pas été donné, prive l'acte de tout effet, y compris dans les rapports du mari avec ses autres cocontractants ».

 

Telle est la solution dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 3 mars 2010.

 

(Cass. civ. 1, 3 mars 2010, n° 08-18.947) (N°Lexbase: A6486ESZ).

 

Cette solution est conforme à la jurisprudence antérieure, puisque la Haute juridiction avait déjà eu l'occasion de préciser que la nullité de l'article 215 était une nullité relative, dont l'action n'était ouverte qu'à l'époux dont le consentement était requis.

 

(Cass. civ. 1, 11 octobre 7989, n° 88-13631, Epoux Ruellan c/ Cabinet Parage et autres)

Date : 3 mars 2017

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